Grâce à la documentation iconographique, des musicologues et des historiens arrivent à identifier les instruments de musique qui autrefois ont été utilisés par les musiciens mais de nos jours malheureusement ont disparu ou sont devenus rares. En ce moment, nous pouvons constater qu’il y a peu d’instruments qu’on peut qualifier d’arabo- andalous, puisque servis encore dans des formations spécialisées dans ce genre. Je cite : le luth arbi, la kouitra, le rabeb, les flûtes (ney ou djawaq ) et les percussions ( derbouka, naqrats et le tar). Mis à part ceux là, tous les autres instruments usités actuellement sont intrus à la musique dite andalouse.
Dans une collection attribuée à un historien Espagnol (Alphonse le Sage), il y a une miniature iconographique représentant une cinquantaine de musiciens du 13 eme siècle, jouant chacun avec un instrument différent et où figurent aussi des instruments arabo andalous. Ainsi, cette observation minutieuse de ces iconographies peut nous donner des indications sur les formes, les pièces qui les composent ainsi que leurs ornements. Il a été rapporté par des historiens andalous que Zeriab au 9eme (après J.C) avait introduit à Cordoue plus d’une quarantaine d’instruments utilisés dans l’orient islamique.
REPERES TECHNIQUES :
Du violon inventé entre les 15 et 16 eme siècles de l’ère chrétien, (coïncidence avec la chute de Grenade et le déclin de civilisation arabo-musulmane) instrument à archet, inspiré du rabab (rabeb ou rebab ou r’bèb) et ses descendants les vièles, violes etc, à la guitare, la mandoline, le piano et autres instrument ramenés de l’occident Chrétiens, tous sont sûrement la cause de l’évacuation des micros- intervalles dans les échelles de la musique andalouse, d’où la confusion et le chevauchement entre les gammes et les timbres orchestrales émanant de l’amalgame entre les instruments (à cordes, à archets, membranophones, aérophones et percussions). Ces instruments, exceptée la famille des violons, tous ont été conçus pour produire des tons et des demi-tons, alors que la musique arabe depuis l’époque de Zeriab et pourvue de ces micro intervalles qui donnent les échelles de maqamats (modes ou touboue3 dans le Maghreb arabe). Sachant que les instruments à cordes et à archets des arabes n’avaient pas de cases (edassatines en arabe) sur les manches pour former les ½ tons diatoniques et chromatiques (dièses ou bémol), éléments ou fragments des gammes dites tempérées de l’occident. Autrefois au temps d’Elkindi et Elfarabi, les luths étaient dotés de ligaments de soie, placés sur les manches pour pointer les intervalles selon les quatre doigts de la main gauche, pour un droitier.
Voila une des probabilités qui nous renseigne sur la configuration des modes qui existent dans notre musique dite andalouse. Même si par instinct, par sensation naturelle, par mémoire ou par des tempéraments que nous ressentons et que dégagent certains modes dans le malouf par exemple, nos musiciens par insertion des micro-intervalles, font ressortir des modes dont les istikhbarats sont très proches des modes orientaux. Tel que le tab3 m’hayar où sa tierce n’est pas tout à fait juste mais altérée par une brève diminution, soit : RE MI FA dièse altérée en note au comma (au lieu de fa dièse) SOL LA SI DO dièse et RE octave. Ce qui donne dans son 1er tétracorde un mode proche du rast charqi. Cette démonstration est aussi valable pour le mode maya du malouf et l’aârak du gharnati (ghrib dans la sanaa) où la seconde de la gamme est aussi altérée et nom tempérée pour s’approcher du maqam beyèti de la musique arabe.
Des historiens andalous comme Al-Shaqoundi avaient rapporté que la principauté de Séville (ichbilia) était renommé dans la fabrication des instruments de musique et qui sont très recherchés. Il a été relaté aussi que la plupart des instruments à percussion ont été introduits par les Berbères en andalousie et cela démontre l’importance de l’élément maghrébin et africain qui avait enrichi la rythmique musicale.
Ainsi, beaucoup d’instruments de l’Andalousie musulmane avaient disparu ou confiné dans des musées, surtout en Espagne, gravés sur des tableaux de peinture, sculptures ou comme mentionnés plus haut sur des iconographies. Le peu d’instruments qui existent sont aujourd’hui menacés par l’introduction d’instruments modernes qui dénaturent le son authentique. Entre autre cet insolent violon électrique en forme de « S », ces derboukas en fonte, en cuivre ou en aluminium qui donnent un timbre métallique, les tars industriels, boites à rythmes, flûtes traversières, clarinettes etc.
Un oud andalous ressuscité.
Une belle et heureuse initiative a été réalisée dans notre pays Frère et voisin, le Maroc, ou un musicologue et musicien, M Metiou Omar, Président de l'association Rawafid Moussiqia de Tanger qui a eu l’intelligence avec son association de faire des recherches en collaboration avec un maître luthier Espagnol, M Carlos Paniagua et avec le soutien de l'Agence espagnole de coopération internationale pour le développement, sur la base de manuscrits datant du 17ème siècle ainsi que de rares pièces conservées notamment dans des musées au Maroc (Fès, Rabat, Marrakech), en Espagne (Barcelone, Madrid) et aux Etats-Unis (Dakota du sud), ils ont pu reconstituer un spécimen de luth (qui l’ont baptisé selon son ancienne appellation : OUD RAMAL) , tombé en désuétude et non utilisé depuis une centaine d’années dans la Ala Marocaine. Après six mois d'étude, il a été fabriqué et ses caractéristiques techniques, acoustiques et ornementales ont été cernées puis réintégrées dans un ensemble de musique andalouse marocaine. Ceux qui ont pris l’initiative de ressusciter ce luth ne se sont pas limités seulement aux côtés morphologiques, dimensions et matériaux mais aussi au son acoustique et surtout sa façon de l’accorder et de jouer avec.
Oud Ramal et oud arbi.
Si nous écoutons bien le timbre de ce luth, on constate qu’il a un son très proche de notre oud arbi, utilisé dans le malouf. Ils ont apparemment presque les mêmes dimensions, la même façon de s’accorder en quinte superposée où la corde aigue est insérée entre la corde grave do (dil) et le ré (maya), 2eme corde du bas. Son accord est ainsi : 1ere corde du bas : sol (raml selon la tradition malouf) ; ré (maya) ; la 440 (h’sine) et : 4eme corde do (dil). On remarque aussi selon l’enregistrement que j’ai écouté du oud ramal, que cet instrument a été élevé d’un 1/2 ton comme le font nos musiciens du malouf, pour plus de résonnance. Il résiste aux tensions des cordes, car robuste, donc son bois a été renforcé par l’épaisseur de la table d’harmonie et les armatures du dessous de cette pièce.
M Metiou Omar a utilisé une richa d’aigle ou autre oiseau pour jouer avec ce luth, comme autrefois du temps de Zeriab où elle a été substituée par un morceau de bois. Enfin, dans le souci de rechercher une manière originale de frotter le plectre sur les cordes.
Je veux terminer mon article en signalant qu’un colloque devait avoir lieu en 2010 à Alger sur le luth maghrébin, connu sous les noms de : kouitra, oud arbi pour l’ Algérie ; oud ettounsi pour la Tunisie et oud ramal ou inqilab pour le Maroc. J’ignore si ce colloque a eu lieu ou non.
En tous les cas, nos frères marocains ont ouvert une brèche pour la recherche dans ce sens, afin de redonner vie à des instruments qui ont disparu mais qui sont récupérables grâce à des recherches en Espagne et dans le Maghreb arabe.
Mouats Hafid , le 24/08/2012.